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2001 - Offre de temps de chômage - Francis guerrero
Offre de Temps de Chômage Francis Guerrero, juillet 2001
Intervention/Installation pour 'La Poussière des Chômeurs'* au Syndicat Potentiel, Strasbourg
Avec la participation de Jeff Mugnier et Valentin Ossenbrunner
Panneau d'affichage en bois, coupons de réservation, chaises, table, Agent de réservation
L'installation 'Offre de Temps de chômage' a été proposée durant l'exposition 'La Poussière des Chômeurs'* qui s'est déroulée du 29 juin au 14 juillet 2001 au Syndicat potentiel à Strasbourg. Des coupons de réservation d'une durée d'une heure et d'une valeur de 50 francs étaient à la disposition des visiteurs. Ces coupons permettaient à des chômeurs de vendre de leur temps de chômage. Sur chaque coupon étaient définis la date et l'horaire, selon la disponibilité du chômeur. Le choix du lieu était déterminé par l'acquéreur. L'achat du temps de chômage se faisait auprès de l'agent de réservation dont la fonction était de faire le lien entre l'offre et la demande, et de garantir l'anonymat de la personne commanditaire vis-à-vis du chômeur qui vendait son temps. Le chômeur se rendait ensuite aux endroits inscrits sur les coupons pour y passer ses heures de chômage. Le commanditaire pouvait être présent ou non sur le lieu de réalisation du temps de chômage. Le chômeur était tenu de ne rien faire à part être présent même si leur commanditaire lui demandait. Une fois les heures de chômage réalisées, l'agent de réservation reversait la somme payée par le commanditaire auprès du chômeur.
15 temps de chômage étaient proposés 9 temps de chômage ont été vendus pour Francis Guerrero, artiste chômeur 2 temps de chômage ont été vendus pour Valentin Ossenbrunner, artiste chômeur
- sur une idée de Bureau d'Etudes, voir http://syndicatpotentiel.free.fr/yacs/articles/view.php/64
Trois exemples de temps de chômage vécus
1er exemple : Le 11/07/2001 de 4h a 5h du matin sur un parking
Valentin et moi avons vendu une heure chacun de temps de chômage que l'on devait passer sur le parking de la Citadelle à Strasbourg. Un lieu réputé pour la drague homosexuelle. Heureusement la personne qui nous a acheté ce temps a fait en sorte que nous le passions ensemble. Elle a sûrement pensé que nous serions mieux à deux. Nous y sommes allés en voiture et avons attendu sur le parking où quelques voitures circulaient et faisaient des va et viens. Un vieux monsieur en short très court qui laissait apparaître ses parties intimes ne cessait de tourner autour de nous mais il ne nous a pas abordé. À plusieurs reprises il est allé vers le parc en ne nous quittant pas des yeux comme pour nous suggérer de le suivre. Un peu plus tard lorsqu'il n'y avait presque plus personne sur le parking nous avons vu arriver un jeune homme complètement ivre qui poussait une mobylette et qui tombait à terre tous les vingt mètres. Il a réussi à se traîner jusqu’à nous. Nous avons ouvert la fenêtre de la voiture. Il s'est adressé à nous pour nous demander si on pouvait le ramener chez lui car, dans son état, il était incapable de conduire sa mobylette. Nous lui avons expliqué pourquoi nous étions là. Il s'est mis à crier en disant qu'il ne nous croyait pas que tous les gens ici étaient des PD et que jusqu’à présent il n'avait rien contre, mais que dès le lendemain, il allait écrire à la mairie pour débarrasser cet endroit de toutes les tapettes qui y traînaient. Il a ensuite repris son chemin toujours soutenu par sa mobylette et toujours aussi difficilement. Valentin et moi avons attendu jusqu'à 5 h. Il n'y avait plus personne sur le parking. Ensuite nous sommes rentrés nous coucher.
F.G.
2e exemple : Le 21/07/2001 de 9H a 10h ascenseur de CUS Habitat, siège des HLM de Strasbourg. J'ai vendu un temps de chômage que je devais passer dans l'ascenseur du siège de la société HLM de Strasbourg (drôle d'endroit). J'y suis allé, j'y ai passé l'heure prévue en me demandant si j'allais croiser le commanditaire de ma mission mais comme je ne le connaissais pas, je ne pouvais pas savoir s'il était là pour vérifier. L'hôtesse d'accueil de la société avait bien vu que quelqu'un squattait l'ascenseur parce qu'à chaque fois qu'il s'ouvrait dans le hall d'accueil elle me voyait. Mais, pendant une heure, elle n'a rien dit, comme si elle ne voulait pas se mêler de quelque chose qui lui semblait bizarre. Au bout d'une heure qui est finalement passée plus vite que je ne l'avais prévu, je suis rentré chez moi.
F.G.
3e exemple : Le 13/07/2001 de 12H à 13H dans un cybercafé
Lorsque je suis arrivé dans l'endroit qu'on m'avait indiqué la patronne du café était au courant, elle m'a accueilli en me disant qu'un repas avait était payé par une personne dont elle ne pouvait pas dire le nom mais que je n'avait qu'à m'installer et qu'on me servirait. Aussi la personne anonyme avait payé pour que je puisse utiliser le net pendant une heure ce que j'ai refusé car ce n'était pas dans mon contrat. J'ai bien mangé (salade composée et steak frite et une boisson gazeuse) et à 13 heures je suis retourné à mes activités quotidiennes.
F.G.
Post-Scriptum
L'idée de vendre des temps de chômage et née suite à une convocation à la Direction Départemental du Travail et de l'Emploi. Là-bas, je me suis fait sérieusement sermonné car j'étais bénéficiaire de l'Allocation Spécifique de Solidarité (ASS) depuis une année et que malgré les preuves de mon activité d'artiste je ne remplissais pas les critères pour continuer à bénéficier de cette allocation. L'inspectrice m'a dit que c'était comme pour Van-Gogh, Mozart ou Picasso, que j'avais choisi une voie et que je devais en assumer les conséquences. Notamment celles qui allaient suivre : une radiation de deux mois et donc la punition suprême : une suspension du paiement de mon allocation (équivalent au montant du RMI). Deux mois plus tard, je retrouvais mon allocation que j'ai touché ensuite sans qu'on me demande quoi que se soit durant ces cinq dernières années
FG
L'art hors norme
Depuis une dizaine d'années, l'association Le Faubourg, rebaptisée Syndicat potentiel en 2000, expérimente une nouvelle approche de la société. L'exposition « La poussière des chômeurs » s'inscrit pleinement dans cette philosophie. Un sac plastique d'une célèbre enseigne britannique qui ferme bientôt ses portes, des préservatifs usagés représentant des enfants de chômeurs, un sac poubelle plein... Tous ces objets sont regroupés dans le cadre de l'exposition intitulée « La poussière des chômeurs », organisée par le Syndicat potentiel. « L'exposition n'a pas pour but d'enjoliver les choses, mais bien de montrer la gravité de la situation de ces gens », justifie Jean-François Mugnier, dit Jeff, le permanent de l'association. Et de poursuivre : « il y a une analogie entre les chômeurs et les artistes. Aujourd'hui, très peu d'artistes vivent de leur travail. A Paris, ils représentent 10 % des Rmistes. »
Sortir des habitudes
Dans une pièce voisine, deux personnes vendent de leur temps de chômage. Moyennant 50 F pour une heure, ils se rendent à l'endroit choisi par l'acheteur, à la date et l'heure qu'eux-mêmes ont préalablement fixées. « C'est pour eux l'occasion d'être payés à ne rien faire, raconte Jeff. A eux deux, ils ont réussi à vendre 7 ou 8 heures. »
Après sept années d'existence, l'association Le Faubourg, qui regroupe des artistes et des chercheurs universitaires, a dressé un bilan insatisfaisant de son action, en terme d'échanges. Instaurer une relation personnalisée entre l'exposant et le public, tel est bien l'objectif que s'est fixé l'association, devenu le Syndicat potentiel. « Nous avons créé une zone de gratuité où chacun peut prendre ou laisser ce qu'il veut. C'est à la fois un espace pratique et un lieu culturel », explique Jeff. Le ton est donné : le Syndicat potentiel échappe à la logique des lieux culturels traditionnels. « Nous fonctionnons comme un lieu de diffusion alternatif, développe Jeff. Nous travaillons avec des personnes dont les projets et les envies mènent à des réflexions sur les valeurs de la société ou de la culture. »
Espace hybride
Ainsi, le Syndicat potentiel organise des soirées sur des thèmes aussi variés que « l'Afrique et la corruption du développement » ou « le statut de l'artiste ». Pour poursuivre les travaux sur ces sujets, le Syndicat potentiel, en partenariat avec la revue « Histoire et anthropologie » va créer une université tangente. « Nous allons édifier une bibliothèque dans le local qui disposera d'un fonds de 10 000 ouvrages », précise Jeff. Le chantier devrait débuter dès la rentrée. Une rentrée qui s'annonce chargée pour le Syndicat potentiel puisque l'exposition actuelle sera présentée dans un bureau de pointage de Bruxelles et sera remplacée par une bourse aux odeurs, réalisée en collaboration avec des artistes camerounais. AR DNA